J'ai ce souvenir étant plus jeune de passer des heures à jouer à mes jeux vidéos favoris, à tomber dans les ravins, à me faire tuer par les ennemis, à devoir refaire entièrement un niveau ou un parcours parce que j'avais loupé un saut, bref je me souviens très bien passer mon temps à échouer, me relever, recommencer... et j'aimais ça !
Ce qui a fait que je suis devenu bon à certains jeux, que j'ai fini par maîtriser toutes les compétences qui vont bien pour les finir, c'était justement tous ces petits échecs, toutes ces petites gamelles, cette frustration de devoir recommencer à chaque fois en combinant les uns avec les autres les petits apprentissages que chaque jeu voulait bien me donner.
Cette culture de l'apprentissage par l'échec est beaucoup moins admise quand on devient adulte, et cette situation semble paradoxale : d'un côté on apprend jamais mieux que via l'échec, en se trompant, d'un autre côté, notre objectif final c'est de réussir, en particulier en entreprise où nous sommes rarement payés pour nous tromper.
Pourtant, plus on échoue, plus on apprend, et plus on apprend, plus on a de chances de réussir, on devrait donc passer notre temps à rechercher l'échec !
Pour devenir expert, il faut pratiquer, il faut faire et refaire, tester des choses, aller "au bout du chemin" jusqu'à la maîtrise complète d'un geste ou d'une discipline. Un expert finalement c'est peut être simplement quelqu'un qui a échoué plus que les autres ?
C'est en se trompant qu'on apprend le plus vite et de la meilleure manière, en "sentant" les choses, en ayant l'expérience, le touché de l'échec.
Cependant, nous constatons aujourd'hui de plus en plus de situations, d'environnements où l'échec n'étant pas admis ou acceptable, les individus, groupes ou entreprises préfèrent ne rien faire, ne rien risquer plutôt que de tenter le déséquilibre et devoir annoncer qu'ils ont échoué. Nous avons peur de l'échec et nous le fuyons le plus possible.
L’échec, signal qu’il reste quelque chose à améliorer
Lorsque nous lançons une initiative, nous pouvons nous attendre à en tirer deux types de résultats :
- Un premier résultat direct, ce qui est produit : la nouvelle fonctionnalité, la migration d'une plateforme, une nouvelle campagne marketing, notre meilleur gâteau. C'est l'objectif final, le "quoi".
- Un second résultat indirect : l'apprentissage individuel et collectif, c'est un résultat collatéral qui représente la connaissance acquise au cours de la réalisation, le "comment".
Bien que souvent mis de côté, le résultat indirect, l'apprentissage est au moins aussi important que le résultat direct. C’est de petits apprentissages en petits apprentissages que les hypothèses d’un début de projet vont progressivement se transformer en connaissances validées. Sauf dans de rares cas "simples" où l'application stricte de processus préétablis peut fonctionner, avoir la bonne solution à un problème "à priori" a peu de chances d'arriver. Quand nous commençons à travailler sur un nouveau projet, un nouveau domaine, nos premières itérations sont rarement les bonnes, et c'est normal, nous cherchons probablement à résoudre des problèmes que personne n'a encore résolu dans notre contexte, il est normal de ne pas toujours prendre la bonne décision ou de lancer la bonne initiative du premier coup.
Un de mes collègues plus expérimenté m'a dit une fois : "on ne mesure pas la qualité d'un manager à son nombre de bonnes décisions mais plutôt à son ratio bonnes décisions/nombre de décisions totales, si il ne prend que de bonnes décisions, c'est probablement qu'il ne prend pas assez de risques". Tenter quelque chose, c'est prendre le risque que l'issue nous soit défavorable, la prise de risque est indispensable à l'innovation. Si on ne se lance que dans des initiatives dont nous sommes certains du résultat, il y a peu de chances que ces initiatives apportent beaucoup de valeur. Si je suis certain du résultat avant d'essayer, c'est probablement que d'autres personnes ont déjà résolu le problème avant moi.
Les adeptes de jeux d’argent ou de trading connaissent bien le sujet : quand on trade, quand on joue au poker ou aux paris sportifs, tous les trades, toutes les mains, tous les paris ne peuvent pas être gagnants. Si nous ne rentrons sur une position que quand nous sommes certains de gagner, soit les conditions de réussite sont tellement rares que nous ne rentrons jamais (je ne rentre que si j'ai As-Dame de la même couleur ou au dessus), soit les possibilités de gains sont extrêmement faibles.
Pour gagner, pour "réussir", il faut jouer, et quand on joue, on doit assumer le risque de perdre de temps en temps. L'important c'est qu'à la fin les gains totaux soient supérieurs aux pertes.
Amazon ou Google sont de parfaits exemples d’entreprises qui lancent beaucoup d’initiatives, qui prennent des paris, qui explorent des pistes… et qui se trompent, jetant à la poubelle un certain nombre de leurs initiatives, probablement plus que la majorité des autres entreprises, sont-ce pour autant des échecs ? Dans le monde incertain et complexe dans lequel nous vivons, ceux qui apprennent le plus vite, ceux qui sont "dans le jeu" plutôt qu'à le regarder, ont beaucoup plus de chances de réussir que les autres. L’objectif n’est pas de “savoir” au sens absolu du terme, d’avoir raison, mais de savoir apprendre, nous avons besoin d’apprendre suffisamment vite pour nous adapter à la vitesse de notre environnement.
L'apprentissage et l'amélioration continue viennent de l'étude minutieuse de nos imperfections. Sans cette recherche et cette étude minutieuse des endroits où nous ne sommes "pas bon", difficile de s'améliorer. L'échec est le "signal" qui permet de rendre visible nos problèmes, quand le résultat d'une initiative n'est pas le résultat attendu, nous avons un signal que quelque chose s'est mal passé, qu'il y a quelque chose à aller creuser, à améliorer.
Plusieurs rituels d’amélioration continue ont pour principal objectif cette recherche des “problèmes” (au sens différence entre situation actuelle et cible attendue) :
- La “rétrospective” agile a pour principal objectif d’observer le travail des précédentes semaines et d’identifier les points d’améliorations qui peuvent mener à adapter les processus ou l’organisation d’une équipe.
- Le “post-mortem” à l’issue d’un incident a pour objectif de décrire le déroulé complet d’un incident, le contexte qui a mené aux différentes décisions prises et à remonter à la cause racine à la source de l’incident. On cherche à comprendre le cheminement qui a mené à l’échec afin d’éviter qu’il ne se reproduise.
- Le “gemba walk” issu du Lean Management qui encourage les managers, les dirigeants à aller sur le terrain, avec les collaborateurs à la recherche de problèmes à résoudre, d’améliorations à implémenter.
Il est important de regarder ses échecs en face afin d'identifier des pistes d'améliorations, combien de fois voyons nous des organisations qui lancent 10 fois le même projet ou des équipes qui lancent 10 sprints d'affilé avec les mêmes 50 tickets mal rédigés ou beaucoup trop de sujets à traiter : ce sont souvent des organisations qui ne souhaitent pas regarder leurs échecs en face pour identifier des pistes d'amélioration, qui se concentrent sur l’observation du résultat direct de leurs initiatives sans prendre le temps d’observer le résultat indirect : l’apprentissage né de leurs initiatives.
Et si on arrêtait de parler d’échec ?
Si nous revenons dans le monde des jeux d'argent ou du trading, on considère qu'il existe 4 types de paris:
- Les paris gagnants
- Les paris perdants
- Les bons paris
- Les mauvais paris
Les 2 premiers (gagnants/perdants) s'intéressent à l'issue du pari. Les 2 derniers (bons/mauvais) s'intéressent aux chances ou au risque de gagner le pari. On peut tout à fait faire un très "bon" pari (All-in au poker avec paire d'As) mais que cela se transforme quand même en pari "perdant" car la chance n'était pas avec nous ce coup-ci. Fallait-il jouer différemment ? Pas forcément !
Nous avons la capacité de contrôler le type de pari que nous faisons, le type ou la quantité de risque que nous prenons, nous sommes en capacité de prendre de "bons" ou "mauvais" paris. En revanche, nous ne pouvons pas toujours maîtriser l'issue de nos paris : est-ce que si je lance telle fonctionnalité elle va plaire à mes utilisateurs, est-ce que si je modifie telle partie de mon code, alors les performances globales de mon application vont s'améliorer ?
La meilleure chose que je puisse faire c'est m'astreindre à prendre les meilleurs paris possibles, si l'issue m'est favorable, alors tant mieux, le pari aura été gagnant, si elle m'est défavorable, alors je peux décortiquer ce pari perdant pour comprendre comment changer les paramètres de mon prochain pari pour le rendre meilleur. Il y aura probablement des cas où j'aurai pris la meilleure décision possible avec toutes les infos que j'avais en ma possession et où l'issue me sera tout de même perdante, ça arrivera, et c'est la vie.
Ainsi, je propose de ne plus parler "d'échec" mais plutôt de parler de "pari perdant". On peut tout à fait avoir un résultat direct "perdant" (nous n'avons pas atteint l'objectif que nous nous étions fixé) mais avoir un "bon" résultat indirect : nous avons affiné nos hypothèses, nos process, nous avons levé des inconnues, nous avons appris.
La question n'est donc plus de savoir si l'issue de notre projet est "gagnant" ou "perdant" (ce sont parfois des choses que l'on ne peut pas maîtriser), mais plutôt de chercher à savoir si notre pari était "bon" ou “mauvais” : est-ce que nos process, notre méthode était la bonne ? Est-ce que la taille du risque pris était la bonne ? Est-ce que nous nous sommes mis en condition d’apprentissage ? Est-ce que cela nous a permis d’identifier de meilleures manières de faire ?