Ce bon vieux papier/crayon

Nos cerveaux ont des capacités magnifiques ! Ils sont capables d'organiser, de tirer des liens entre des idées, de générer de nouvelles idées... mais il y a une chose qu'ils font mal (en tous cas le mien, et c'est de pire en pire) : c'est se souvenir. Nos cerveaux sont faits pour réfléchir, pas pour se souvenir.

Pour travailler, j'ai besoin de deux outils :

  • Un outil pour stocker mes idées, mes tâches...
  • Un autre outil qui me sert de support visuel pour manipuler mes idées

L'Apple Store et le Google Play Store sont remplis d'outils qui sont censés nous aider à répondre à ces besoins : des applications de prise de notes, des outils de gestion des tâches, des board Kanban, des raccourcis pour pouvoir facilement et rapidement sauvegarder un article, surligner les éléments intéressants d'une page web...

J'ai passé un certain nombre d'année à améliorer ma boîte à outils pour pouvoir être le plus "productif" possible :

  • Une application de TODO synchronisée sur tous mes appareils pour pouvoir capturer une idée ou une tâche depuis n'importe où.
  • Trello pour gérer toutes ces tâches avec un board Kanban comme management visuel.
  • Une automatisation de Trello pour automatiquement ranger, tagger les tâches, (re)créer les tâches récurrentes chaque début de semaine, recopier celles qui n'ont pas été terminées d'une semaine sur l'autre…
  • Un flow extrêmement précis pour capturer des articles intéressants et tout centraliser dans un outil de prise de note collectionner les idées d'autres personnes que je n'utiliserai probablement jamais.

Mais ce système avait plusieurs limites :

Je me suis assez rapidement retrouvé avec une piscine infinie de tâches à réaliser et de contenus à consommer. Une tâche terminée générant de nouvelles tâches et un contenu consommé générant d'autres contenus à consommer.

Mon téléphone, mon PC, ma tablette sont géniaux, ils me permettent de faire TOUT et N’IMPORTE QUOI ! Mon téléphone, mon PC, ma tablette sont un enfer... ils me permettent surtout de faire N’IMPORTE QUOI. Je me suis donc progressivement mis à chercher des alternatives pour résoudre ces problèmes et bizarrement j'ai un outil qui a fini par répondre à une grande partie de mes besoins : un bon vieux carnet et un stylo !

J'ai donc essayé d'utiliser un combo papier/crayon comme outil principal pour toute mon organisation personnelle depuis bientôt 2 ans et voilà ce que j’en ai retenu :

1 - Le papier est "fini"

Une des pires inventions de ces dernières années, c'est le scrolling infini, ce truc qui fait qu'on peut se retrouver à 3h du mat’ à regarder des "shorts youtube" d'un ostéopathe pour chien... Le premier avantage de mon carnet c'est que lui, il a un début et surtout une fin : je ne peux pas tourner ses pages à l’infini.

J’ai un deuxième challenger ex-aequo dans la liste des pires inventions de ces dernières années : le cloud ! Le problème avec les outils de gestion de tâches ou plutôt de “collection de tâches” digitaux d’aujourd’hui, c'est qu'on peut y ajouter un nombre infini de tâches, finalement ce ne sont que de nouveaux 0 et 1 quelque part dans une base de donnée dans un datacenter. Ajouter et stocker une nouvelle tâche ça ne coûte virtuellement rien... et c'est comme ça qu'on se retrouve avec un backlog de plusieurs centaines de tâches qu'on arrivera jamais à trier ou des "todo" hebdos qui accumulent de semaine en semaine des tâches qui ne seront jamais terminées. Le second avantage de mon carnet, c'est que la place sur mes pages est finie. Quand ma page en cours est déjà remplie de tâches non réalisées, je sais que ça ne sert à rien que j’en rajoute de nouvelles.

2 - Le papier est "lent"

Devoir tout écrire rajoute de la friction à ma collectionnite aiguë de nouvelles tâches : pour ajouter un nouvel élément à ma todo, je dois prendre le temps de l'écrire, pour "migrer" des tâches d'une semaine sur l'autre, je me force à toutes les réécrire, le “copier/coller” qui ne coûte rien en terme d'effort n'existe pas : et cela me donne le temps pour chaque tâche de me poser la question de savoir si elle est vraiment importante et si elle est vraiment urgente, sinon elle va simplement disparaître. Fini les tâches qui dérapent de semaine en semaine sans qu'on se pose trop la question de pourquoi on les recopie, juste parce qu'elles n'ont pas été "terminées" la semaine d'avant.

Cette friction me force également à synthétiser, je ne peux pas tout le temps tout écrire, donc ça me force à réfléchir à ce que je dois écrire, à comment reformuler mon idée, ma tâche, et donc ça me force dans une certaine mesure à commencer à la faire rentrer dans mon système.

Finalement, cette obligation de “lenteur”, qui pourrait être vue comme un bug dans ma recherche de productivité, est en réalité une "feature" très intéressante : elle me force à ralentir et à me poser des questions sur ce qui a sa place ou non dans ma liste de tâches.

3 - Le papier est "monotâche"

Le problème de mon téléphone ou de mon PC, c'est que ce sont des outils très versatile, il me permettent de tout faire, et leur comportement par défaut ce n'est pas de me garder concentré sur une seule tâche ou de me faire prendre la meilleure décision sur l'utilisation de mon temps. Le comportement par défaut d'une majorité des applications qui sont installées sur mon téléphone est induit par leur modèle économique : l'économie de l'attention. Plus je passe de temps sur une application, plus le propriétaire de l’app gagne de l’argent, son objectif est donc de me capturer en me distrayant et de me sucer le plus de temps de cerveau disponible possible.

Combien de fois ça vous arrive de sortir votre téléphone pour "juste vérifier un truc" et finir par faire complètement autre chose car vous êtes happé par une notification, qui vous capture sur l'application truc qui finalement vous emmène sur l'application machin qui fait que encore une fois 30 minutes plus tard vous vous retrouvez à regarder des vidéos d'un expert qui vous explique comment poser correctement du carrelage... alors que vous n'avez que du parquet dans votre appart !

L'avantage de mon carnet, c'est qu'il est chiant comme la pluie et il ne fait "que" ce que j'ai décidé qu'il fasse, mon carnet n'essaye pas de me manipuler en m'affichant la petite pastille rouge fraise des bois ou le petit shoot de dopamine qui va m'inciter à revenir dans 10 minutes. Dans le pire des cas je peux me retrouver à parcourir les pages précédentes de mon carnet plutôt que de faire ce que j'étais censé faire, mais au moins je suis exposé à mes propres notes, celles que j’ai choisi d'écrire plus tôt, et pas des notifications, des idées, des publicités poussées par d'autres.

C'est moi qui choisi le comportement par défaut de mon outil.

4 - Le papier permet d'être créatif et adaptable

Dans beaucoup de cas, on se retrouve à devoir soit se conformer au modèle de données des outils qu'on nous propose (trello c'est pour des boards Kanban, pas facile de faire des dessins avec, instapaper me permet de surligner des passages et prendre des notes "linéaires" mais pas de dessiner...), soit se retrouver avec des usines à gaz qui font "tout" mais qui nécessitent un doctorat en aérospatiale pour pouvoir être paramétré (coucou Jira !).

Et moi, mes journées ne se ressemblent pas forcément, les problèmes que j'ai à résoudre aujourd'hui ne nécessitent pas forcément le même outil que les problèmes que j’aurai à résoudre demain : une simple todo me suffira aujourd'hui parce que j'ai 15 mini tâches débiles que je dois shotgun dans la journée alors que demain je peux avoir besoin d'itérer sur des idées pour un article et poser un Mind Map ou de drafter un logo pour mon nouveau podcast. Si j'ai besoin de linéariser ma pensée, je peux le faire, au contraire si j'ai besoin de chaos je peux le faire, et je peux même changer de mode de fonctionnement en cours de route, j’ai juste à tourner la page.

5 - Le papier force à être "actif"

Écrire c'est déjà réfléchir, processer : si je copie/colle un bout de texte, une citation, il y a peu de chances que je fasse l'effort de la comprendre, de l'assimiler, de la lier à d'autres idées que j'ai déjà. Au contraire, si je la réécris à la main, si même je la reformule ou je la synthétise, ça va me forcer à réfléchir à ce que cela veut dire, à comment je l'intègre dans mes modèles mentaux existants. Ainsi quand j'écris à la main, j'enregistre, mais surtout je process.

Écrire me force également à une certaine discipline et à me poser la question de si ça vaut vraiment le coup d'être écrit/recopié dans ma collection d'idée, de tâches... si j'ajoute quelque chose, c'est que ça en vaut la peine, et donc idéalement que je me suis posé la question de l'utilité de mon idée.

Oui mais...

Evidemment, tout repasser en mode papier/crayon a certains inconvénients :

  • Si je perds mon carnet, je suis dans la merde car j'ai absolument TOUT dedans : que ce soit mes tâches pour la fin de la semaine, le mois prochain, les idées d'articles que j'ai voulu conserver pour plus tard...
  • ça nécessite une certaine discipline pour ranger les choses au "meilleur endroit" car la fonction recherche n'existe pas sur mon carnet
  • ça nécessite quand même d'avoir au moins une application minimale de prise de notes sur son téléphone pour les moments où on ne peut pas sortir son carnet pour écrire (j'ai l'impression que j'ai mes meilleures idées en portant mon fils, et vous avez déjà essayé d'écrire avec un bébé dans les bras ?)

Mais à choisir, je préfère désormais tous les inconvénients du “mode par défaut” de mon carnet qui rendent ma prise de note et mon organisation plus lente, plus "chiante" mais qui me permettent aussi d'être plus intentionnel dans ce que je choisis d'ajouter à mon backlog, à ma todo, à ma liste d'idées ou à ma pile à lire. Ça m'évite d'être enseveli sous une montagne d'octets dont je ne saurai quoi faire dans quelques mois et ça m’évite de passer mon temps à me faire distraire par mon téléphone ou le nombre infini d’onglets encore ouverts sur mon navigateur.

Pour aller plus loin